Histoire - Marguerite et le Donjon de Bois-Crissant

🧀 Chapitre I — Une vache pas comme les autres

En l’an de grâce 1273, dans la paisible vallée d’Arzembouc, se dressait un château tout neuf : Bois-Crissant. On l’érigeait à la hâte sur un promontoire boueux, avec plus de pierres que de plans, et plus de bras que de cervelles.

Tout autour du chantier, des cris d’ouvriers, le fracas des marteaux sur la roche, et l’odeur du calcaire frais dominaient. Mais à quelques toises de là, paisiblement couchée dans un champ, une vache blanche et noire ruminait en silence. Elle s’appelait Marguerite.

Contrairement à ses congénères, qui se contentaient de brouter, Marguerite observait. Chaque jour, elle fixait le château en construction avec une attention troublante. Elle analysait les angles, les arcs, la tension des cordes de levage. Une fois, elle poussa même un seau vide vers un apprenti maçon qui allait bétonner une pierre sèche. Le seau tapa pile à temps. L’accident fut évité.

Les villageois commencèrent à chuchoter. Une vache qui pressent les erreurs de maçonnerie ? Était-ce une créature divine ? Une réincarnation d’un ancien bâtisseur ? Ou tout simplement une bête très attentive ?

On ne savait pas. Mais ce qu’on savait, c’est que Marguerite voyait tout. Elle veillait, non seulement sur le château, mais aussi sur le donjon en construction, comme une sentinelle mystique.

🪓 Chapitre II — Le mur maudit

Le seigneur de Bois-Crissant, Godefroy de Chicane, jeune noble aussi ambitieux que peu versé dans l'art de la pierre, avait ordonné la construction d'une tour « plus haute que celles de l’évêque de Melun ».

Les maçons, peu convaincus, empilaient les blocs avec précipitation. Les fondations étaient bancales, et les poutres de soutien mal calées. Mais personne n’osait contester l’ordre du seigneur. Enfin... presque personne.

Car ce matin-là, Marguerite fixait la tour d’un œil noir. Puis elle s’avança lentement, planta ses sabots dans la terre molle, leva la tête… et meugla d’un ton grave, profond et long :

« MEEEEEEEUUUHHHHHHHH ! »

Tout le chantier se figea. Jehan le Pâtre, jeune vacher rêveur qui comprenait un peu le "vachien ancien", leva les yeux depuis ses bottes pleines de paille.

— Elle dit que le mur va tomber, messires. Trop de poids, pas assez d'assise.

Les ouvriers ricanèrent. Le contremaître haussa les épaules. Trois jours plus tard, à la troisième levée de pierre, la tour nord s’effondra dans un nuage de poussière, manquant d’écraser deux ouvriers et un panier de chatons (sauvés à temps).

Marguerite, depuis sa colline, mâchait calmement une touffe de trèfle. Elle leva à peine un sourcil bovin.

📜 Chapitre III — Marguerite, la muse de la maçonnerie

Le seigneur Godefroy, choqué mais encore trop fier pour s’excuser, fit installer un abreuvoir doré pour Marguerite "en remerciement pour son flair". Mais le peuple, lui, avait vu. Il savait.

Dès lors, les bâtisseurs vinrent consulter Marguerite. Ils lui montraient des plans. Elle tapait du sabot sur ceux qui tiendraient. Elle tournait la tête, dédaigneuse, quand les arches étaient trop fines. Un jour, elle même écrasa du museau une poutre trop courte — elle avait mesuré à l’œil.

On lui construisit une petite plate-forme d’observation. Un banc de pierre pour Jehan. Et un grand panneau sur lequel on grava :

"Quand Marguerite meugle, mieux vaut écouter que reconstruire."

Elle prédit la fissure du puits sud. Elle recommanda de déplacer la forge de deux toises à l’ouest pour éviter les incendies. Et elle proposa une pente de 12° sur les gouttières pour un écoulement optimal. (Les scribes pensaient qu’elle avait vu ça dans les flaques.)

Ainsi, elle devint la muse des maçons, l’oracle des tailleurs de pierre, la bête la plus consultée de toute l’Anjou. Et pourtant… elle restait humble. Elle mangeait son trèfle, regardait le ciel… et ruminait la suite de ses plans.

🏰 Chapitre IV — Le conseil de Marguerite

Avec le temps, la réputation de Marguerite dépassa les limites de Bois-Crissant. On envoyait des messages depuis d’autres fiefs, parfois même avec des croquis, pour recueillir son avis sur une charpente, une voute ou une cloison trop ambitieuse.

Face à cet engouement, le seigneur Godefroy prit une décision historique : il fit entrer Marguerite au conseil du château. On libéra une place près de la cheminée. On y installa un trône de bois sculpté, garni de paille douce, avec une vasque d’eau fraîche à ses pieds. Marguerite y siégeait deux fois par semaine.

Le conseil se tenait en silence, car on devait observer les réactions de la vache. Un hochement de tête signifiait “accord”. Un long meuglement, “opposition”. Et si elle lâchait un pet... eh bien, c’était généralement interprété comme un désaccord profond et digestif.

Une fois, un jeune architecte présenta les plans d’un pont-levis à six contrepoids. Marguerite, sans un mot, s’écarta du banc et s’allongea dans la cour. Le seigneur déclara :

— La vache a parlé. Projet refusé.

Ce fut dans cette ambiance étrange mais efficace que furent érigés la chapelle de la Sainte-Pierre-Ferme, la salle des banquets à acoustique optimisée, et même un pigeonnier en spirale qui attira l’attention des moines cisterciens.

Marguerite était devenue, sans l’avoir demandé, l’âme bâtisseuse du domaine.

⚔️ Chapitre V — Le siège des Croquants

Tout allait paisiblement à Bois-Crissant… jusqu’à ce qu’un jour d’automne, un messager haletant parvienne jusqu’aux portes du château :

— Seigneur ! Une armée de Croquants approche depuis la forêt d’Orvallon !

Les Croquants — des paysans rebelles, levés contre les impôts, armés de fourches, de chaudrons et d’une colère mal cuite — marchaient droit sur le château. Ils étaient des centaines, peut-être plus, et prêts à tout saccager.

Godefroy paniqua. Il ordonna de bâtir en urgence une palissade extérieure avec des planches fraîches et des pieux maladroitement plantés. Marguerite, consultée en hâte, renifla les fondations, puis recula lentement… et s’allongea en soupirant.

— Ce n’est pas bon signe, murmura Jehan. Elle ne valide pas les travaux.

Mais le seigneur, sous la pression, ignora le présage.

Et trois jours plus tard, à l’aube, les Croquants lancèrent leur assaut. La palissade, mal ancrée, s’effondra sous leur poids comme un soufflé mal tenu. Le château était à deux doigts de tomber.

Alors, Marguerite se redressa. D’un pas lent et digne, elle monta sur la butte qui dominait la cour. Elle meugla. Un long meuglement puissant, profond, presque surnaturel :

« MEEEEEUUUHHHHH ! »

Le son résonna dans les collines. Les Croquants s’arrêtèrent, figés. Certains jurèrent avoir vu des flammes dans ses yeux. D’autres crièrent que c’était une manifestation divine. Pris de peur ou de remords — on ne saura jamais — ils battirent en retraite, fuyant dans les bois comme des lièvres affolés.

Le château fut sauvé. Le seigneur Godefroy, dans un élan de gratitude, proposa à Marguerite une place à la table des nobles, mais la vache refusa. Elle préférait son trèfle et sa place près de la cheminée.

Et ainsi, Marguerite, la vache bâtisseuse, demeura un mystère, une légende vivante. Une vache sage, mais aussi redoutable quand il le fallait. La paix revint à Bois-Crissant, mais dans le cœur de ceux qui l’avaient vue, un respect absolu demeura.

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